[divide]

Il était une fois un poisson qui avait une drôle de réputation. Moi, je l’ai appelé Johnny, si vous trouvez pourquoi, bravo, mais bon, ça veut dire que vous êtes peut être un peu alcoolo, ou bricolo… ou un peu des deux…
Aristote, lui, est beaucoup plus pragmatique, il parle de Johnny comme d’un poisson non comestible, mais fort utile pour la fabrication de divers philtres préparés afin de ralentir le déroulement de la justice ou ramener des épouses volages. Bon, du coup, si vous êtes en plein divorce, pas la peine de crier Aliiiine pour qu’elle revienne, mieux vaut appeler Johnnie.
Si vous ne voulez pas faire revenir votre belle, parce qu’elle s’est barrée avec la caisse, vous pouvez aussi faire appel à ce poisson mystérieux. Ben oui, si vous le laissez dans le sel quelques jours et que vous l’approchez de la bouche d’un puis, il en ressortira toutes les pièces d’or qui s’y cachent…
Oui oui oui… Il aurait même le pouvoir de stopper net le plus imposant des bateaux navigant à bonne allure. D’ailleurs Caligula lui-même en fît les frais. « Ce dernier, retournant à Rome avec une armée navale, sa galère devint immobile comme un rocher au milieu de la mer, sa galère étant arrêtée par ce petit poisson » dit Jean Lejeune dans ses « œuvres complètes ».
« Il s’agit d’un poisson qui a reçu en partage la haute mer, qui est de couleur noire, de la taille d’une anguille moyenne, et qui tire son nom de ce qu’il fait quand, après s’être attaché avec une force destructrice à un navire qui file porté par une bonne brise, et après avoir planté ses dents à l’extrémité de la proue, il retient l’élan du navire, l’entrave et le bloque, à l’instar d’un homme qui tire violemment en arrière, par un coup sec sur les rênes, un cheval farouche qui refuse le mors. En vain on donne toute la voile, les vents soufflent sans aucun effet, et les passagers sont démoralisés. Les marins, eux, comprennent et savent bien ce qui arrive à leur navire. C’est de là que le poisson a tiré son nom : les experts l’appellent en effet le “bloque navire” » » explique Élien, dans Nature des animaux.
Mais quel est donc ce poisson à qui nos anciens attribuaient tant de pouvoir ? Vous l’aurez compris, il s’agit de Johnny le rémora ! Rémora, ça vient du mot latin… rémora.., ce terme veut dire, « obstacle, retard, arriver en retard », tout ça parce qu’on lui attribuait le pouvoir d’arrêter les vaisseaux dans leur course. Moi je l’appelle Johnny parce que…. Ah ah ah… A vous de me dire, je ne vais pas vous mâcher le travail, j’ai eu assez de mal pour lui trouver un petit nom qui lui colle aussi bien à la peau.
Alors, Johnny, ce n’est pas un poisson très beau, il est de couleur noirâtre, il est filiforme et se déplace en ondulant son corps, le rendant assez gauche dans ses déplacements. Sa particularité, c’est sa ventouse : la partie supérieure de sa tête supporte un disque céphalique, permettant au rémora de se fixer sur d’autres animaux (requins, raies, poissons-lunes, tortues, baleines) et parfois même sur des coques de bateau, et ça, ce n’est pas une légende. Bon, il est bien incapable de les arrêter dans leur course ou même de les freiner, même les requins ne semblent pas s’inquiéter de voir un Johnny se coller à leurs fesses.
Ce poisson chargé d’histoires et de légende est toutefois incroyable.
Les aborigènes d’Australie avaient réussi à apprivoiser ce poisson et à s’en servir pour leurs séances de pèche. Un peu comme un chasseur le ferait avec son épagneul. La méthode avait l’air simple : ils récupéraient des rémoras qu’ils parquaient dans des bassins, les alimentaient et en prenaient grand soin.
Quand le pécheur partait en mer, il emmenait avec lui son Johnny, et dès qu’il apercevait du « gros » évoluant près du bateau, il attachait le rémora à une cordelette et le laissait glisser dans l’eau afin qu’il parte se coller au poisson et serve ainsi d’hameçon.
Il semblerait que le rémora ait eu une telle complicité avec son « maître » qu’il lui arrivait de le prévenir par quelques à-coups donnés à la cordelette lorsqu’il allait s’accrocher à un requin, un poisson ou une belle tortue. Si la cordelette cédait, le rémora revenait de lui-même au bateau.
Alors, oui, on pourrait dire que ce n’est, là encore, qu’une légende. Pourtant, bon nombre d’écrits relatent des parties de pêche utilisant cette technique, et ce tout autour du globe. Même Christophe Colomb en fait état dans ces récits de voyages.
Septique, un scientifique anglais a voulu réitérer l’expérience au début du XXI siècle, mais il n’a jamais réussi à dompter un quelconque rémora. A chaque fois qu’il sentait la cordelette se tendre, Johnny se décollait du poisson et le laissait partir, pire, il refusait quelquefois carrément de se coller à quoi que ce soit et se faisait croquer par le requin qu’il était censé attraper. Cette technique de pêche a donc disparu depuis des lustres et plus personne ne sait comment parler à l’oreille de Johnny.
Comme je vous le disais plus haut, le rémora ne nage pas franchement bien, attention, ce n’est toutefois pas une enclume, il nage beaucoup mieux que n’importe quel être humain ! Mais bon, à côté d’un requin, il fait pâle figure.
C’est pour cela qu’il « parasite » d’autres poissons plus gros que lui. Son partenaire préféré est le requin mais il peut se coller à tout ce qu’il trouve, pourvu que la bestiole l’emmène se balader et lui procure de quoi s’en mettre plein le ventre. Il ne lui reste qu’à ouvrir sa bouche pendant la séance de natation de son hôte et il avale tout ce qui passe à sa portée : sa bouche fonctionne comme un filtre et sa dentition développée retient des organismes planctoniques (larves, œufs …).
Il débarrasse aussi les poissons auxquels il s’attache de leurs parasites puisqu’il se nourrit de ce qu’il trouve sur son hôte et se faufile jusque dans les ouïes ; il se repaît également parfois des restes du repas de ces derniers. Il lui arrive aussi de profiter de l’arrêt casse-croute de son hôte pour se décoller et aller grignoter deux trois bricoles à côté. Un rémora a déjà été observé fixé au palais d’une raie manta, neutralisant pratiquement la fonction nutritive.
Voilà donc la petite histoire de Johnny, je laisse libre cours à votre imagination pour trouver les origines de son prénom.
Morale de l’histoire, toute emberlificotée, histoire de vous aider à trouver l’énigme du prénom de Johnny :
Oh Johnny si tu savais
Comme tous mes lecteurs vont galérer
Ton prénom ils vont dépieuter
Sans jamais la solution trouver
Oh Johnny si tu savais
Tout le scotch que j’ai avalé
Pour à jamais coller et sceller
Ton prénom dans le marbre gravé.

Les photos de cette rubrique sont de Bulletin bleu, Doris, Albert Kok

 
[divide]