Aujourd’hui, on est dimanche, on va se faire un bon festin de langoustes, nan j’rigole, on va juste en parler et les laisser faire leur vie, confinées au fond d’un HLM avec vue sur le jardin corallien, en compagnie de Manuel, Pépé et compagnie. En revanche ce texte est écrit à 4 mains, vous trouverez en fin une partie concernant la règlementation de la pèche de la langouste en Martinique, ecrite par Amandine de L’Asso-Mer.

La langouste d’aujourd’hui, je vais l’appeler Fernando. Je sais ça ne rime pas avec langouste mais ça rime avec brésilien… Non ? Ah bon…

Pendant longtemps, Fernando s’est appelée « sauterelle des mers », mot dérivé du latin « locusta » signifiant sauterelle, les crustacés étaient d’ailleurs considérés comme des insectes tombés à l’eau. C’est vrai, une langouste, ça ressemble fort à un insecte.

Il y a de cela quelques années, les antillais n’en avaient rien à cirer des langoustes, les pêcheurs se servaient de leur chair pour appâter les poissons, et ça s’arrêtait là. Aujourd’hui, la langouste est très recherchée, elle est à la carte de tous les resto de Martinique et il n’est pas rare de les voir entassées dans des aquariums à côté de clients voraces qui ne pensent qu’à les manger.

Sans déconner, ça fait quand même bizarre de devoir choisir quelle bestiole va finir dans son assiette, d’attendre que le serveur l’attrape à l’aide d’une épuisette, puis d’entendre le cri de la bête que l’on tranche en deux dans les cuisines… Bon OK ça crie pas une langouste, ça stridule, mais quand même… Si on faisait de même avec les agneaux, tout le monde encarterait chez Végan et compagnie et on ne mangerait plus que des graines et des sorbets coco…

On me demande souvent si les resto du coin ne servent que de la langouste fraiche. Bah… c’est sûr elle est fraiche, qu’elle sorte du vivier ou du congélateur, ça c’est sûr elle est fraiche. Maintenant, de là à dire que c’est une langouste du coin, ça… c’est une autre histoire.

Ici en Martinique se côtoient quatre familles de langoustes, la Royale (Panulirus argus), la Brésilienne (Panulirus guttatus), la langouste à bandes rouges (Justinia Longimana) et la Cigale (Scyllarides aequinoctalis).

Bon, rien ne ressemble plus à Fernando qu’une autre de ses soeurs. La royale, c’est la plus grosse de nos langoustes, elle peut mesurer 20 cm en moyenne, voire 60 cm et peser jusqu’à… 14 kg pour les plus grosse !

On l’appelle aussi la langouste de Cuba, et on la pêche tout la bas et ici aussi bien sûr (là encore les moins de 20 ans ne comprendront rien).

Cette langouste est de couleur marron, pourpre, voire bleue foncée avec quelques points blancs sur toute sa carapace.
La Brésilienne est plus petite (15 centimètres en moyenne) beaucoup plus bling bling, elle a tout plein de petites taches blanches sur la carapace verte, bleue ou marron.

Cela dit, la Brésilienne n’a jamais mis les pattes au Brésil… Mais c’est plus sexy de s’appeler langouste brésilienne que petit bateau… (pas compris ? bon… heuuu… le string, le brésilien… la culotte petit bateau… pfff… aucune culture !)

La langouste à bande rouge est quant à elle très reconnaissable, c’est la seule qui est dotée de pinces, assez rudimentaires certes, mais elles sont bien là. Elle est, vous l’aurez compris, rouge orangée.

La dernière, c’est la cigale, aussi appelée cafard ou ravet en Martinique, car pour de bon, elle ressemble énormément à une cigale… ou à un cafard… ou un ravet. Il se dit que la chair de la cigale est bien plus gouteuse que celle de la langouste, toutefois, elle est très peu péchée ici, à croire que les martiniquais rechignent à avaler un colombo de cafards.

De jour, elles se planquent très souvent dans les anfractuosités rocheuses, elles se retrouvent confinées dans des trous, de véritables HLM à langoustes qui peuvent abriter plusieurs dizaines d’individus. Ça se grimpe dessus, ça se mélange, ça se casse la figure dans un joyeux bordel. Elles sont partout, agglutinées au sol, accrochées au plafond ou aux parois, seules quelques antennes sortent de leur T1.

Le plongeur peut s’en approcher, elles ne sont pas farouches ! Avancez vos doigts près de leurs antennes et agitez les, au bout de quelques secondes, elles vont frétiller des antennes et les amener jusqu’à vos mains si vous vous tenez tranquille.

Alors non, bande de bourrins, n’essayez pas d’en choper une en la tirant hors de son logis par ses antennes, et d’une vous risquez de les arracher, et c’est pas bien malin, et de deux si vous tentez de l’attraper par la carapace, elle va avoir peur, va se recroqueviller et risque de vous couper méchamment la main. Sa carapace est formée de plusieurs segments épineux et ses morceaux coulissent, si votre doigt reste coincé entre deux de ces « boucliers » vous allez souffrir, un vrai coupe cigare ce truc là ! On ne le répètera jamais assez, inutile d’emmener avec vous un pot de mayo sous l’eau, on ne touche pas aux langoustes quand on est un plongeur responsable.

Si vous voulez voir des langoustes en pleine eau, venez plutôt plonger de nuit avec nous. C’est à ce moment-là qu’elles sortent de leur tanière pour trouver de quoi se nourrir.

Fernando est nécrophage… et oui, il mange essentiellement des animaux morts, quelques oursins frais ou faisandés, des coquillages à la DLC bien avancée ou encore bien vivace et certains végétaux. Afin de localiser ses proies, il utilise des chémorécepteurs situés sur ses antennes et ses pattes, chémorécepteur qui lui permette de « renifler » les meilleurs mets avariés dans leur périmètre de vie. C’est comme ça que ce fossoyeur des mers nettoie les fonds des détritus organiques, et ça c’est chouette. (Bon appétit)

Les antennes lui servent donc à « sentir » mais aussi à communiquer. Face à un danger, elle semble prévenir ses congénères en émettant un son assez particulier, audible à l’oreille humaine. Ce son provient d’un petit mécanisme de friction placé à la base des antennes, qu’elle utilise un peu à la manière d’un archet sur une corde de violon. On dit que la langouste stridule, comme les cigales en Provence. Leurs antennes ont aussi une autre fonction, elles leur permettent de ne pas se perdre.

A l’approche de la période cyclonique, les langoustes ont tendance à quitter leur coloc pour des zones plus profondes, sans doute pour se mettre à l’abri de la houle et du ressac. On peut ainsi observer des dizaines d’individus à la queue leu leu, une antenne sur la queue de celle de devant, et la procession s’en va ainsi à la recherche d’un nouveau squat plus abrité.

La langouste est une espèce marcheuse, mais lorsqu’elle se sent menacée, elle s’échappe en donnant de vigoureux coups de queue, ce qui la propulse en arrière. Alors là, c’est la débandade, adieu farandole, danse des canards et fête au village, tout le monde se carapate à grand coup de queue de langouste sauce barronnouvitfait.

Fernando est un chaud, il est prêt à trouver l’amour alors qu’il a environ 5 ans. Sachant qu’elle a une durée de vie de 15 à 20 ans, faut pas trainer. Une fois par an, la femelle attire le mâle en stridulant, le premier qui arrive sera l’heureux élu, qui, après une courte danse nuptiale, ira toucher les antennes de sa belle laquelle cessera immédiatement de chanter. L’affaire est dans le sac, les autres mâles des environs savent désormais qu’il est inutile d’insister, ils vont devoir pécho une autre femelle. Le futur papa ira coller son ventre à celui de la demoiselle. Il libèrera un spermatophore, espèce de capsule contenant son sperme, qui viendra se coller au sternum de la femelle. Cette dernière le gardera en stock en attendant le bon moment pour fertiliser ses oeufs. Bon, si elle ne se décide pas avant un mois, ce sera trop tard, le sperme de la langouste ayant lui aussi, une date limite de consommation.

Quand elle comprend que le bon moment est arrivé, elle va descendre dans des eaux plus profondes. Lors de la ponte, elle fléchit l’abdomen pour expulser quelques deux millions d’œufs. Elle les garde sous son abdomen et les fertilise en grattant le spermatophore et libérer le sperme. Comme quoi, on n’a rien inventé avec nos fécondations in vitro, mais bon, nous, on ne gratte pas l’éprouvette, enfin du moins je ne crois pas.

Trois semaines plus tard, les œufs vont éclore et se transformer en larves qui seront immédiatement emportées par les courants marins.

Pendant près d’un an, elles se baladeront ainsi entre deux eaux, et, au fil des mues, elles vont finir par se poser dans les herbiers ou les racines de la mangrove. Au début, le bébé langouste est plutôt solitaire, puis, lorsque sa taille augmente, il ne rechigne pas à partager son territoire avec d’autres.

C’est à ce moment-là que les colocations commencent. La mue des langoustes est régulière : entre deux à trois mue par an chez les juvéniles, une fois par an pour les langoustes adultes. Si, en plongeant, vous voyez une carapace, cela ne veut donc pas forcément dire que la bestiole s’est faite manger, c’est peut être juste une exuvie, ancienne carapace d’une langouste devenue grande.

Ah tiens, parlons donc de ses prédateurs, au beau Fernando… Quelques requins en font volontiers leur 4h, mais aussi les poulpes et certains poissons comme les mérous, les raies pastenagues, les congres et les murènes.
Mais bon, son plus grand prédateur reste l’homme, bien sûr.

En 2013, 93 000 tonnes des frangins à Fernando étaient consommées à travers le monde. 26 800 tonnes pour le foie gras…

Ici, en Martinique, la pêche à la langouste est très règlementée. Malheureusement, on voit très souvent des ventes sous le manteau d’espèces trop petites, enfin, quand je dis sous le manteau, il n’est pas rare de voir des petites annonces de vente de langoustes avec photos à l’appui. Les clichés en question ne laissent aucun doute, les langoustes sont souvent loin de faire la maille, c’est-à-dire d’avoir une taille légale pour être pêchée.

Pour préciser tout ça, je laisse la main à Amandine, de l’Asso mer, qui va vous parler mieux que quiconque :

Il s’agit uniquement de la règlementation de la pêche de loisir à la langouste. Ce document a été réalisé en utilisant la réglementation en vigueur, c’est-à dire l’arrêté pêche loisir Martinique du 8 avril 2019.
Deux espèces sont règlementées : la langouste royale et la langouste brésilienne.
Première chose à savoir la pêche aux langoustes grainées (porteuse d’œufs) est interdite en tout temps et en tous lieux.

La langouste femelle peut porter les œufs sous leur ventre pendant 3 semaines. Et elle porte des milliers d’œuf.

Il serait donc très dommage de retirer toutes ces futures langoustes du milieu naturel. Ce geste de libérer une langouste grainée est donc un geste responsable (et indispensable) pour la préservation de la ressource.

C’est aussi pour cela que la pêche à la langouste est interdite du 1er juin au 30 septembre. Afin d’assurer une période de reproduction nécessaire et suffisante à la reproduction de l’espèce.

Vous avez capturé une langouste ?
Il s’agit d’une langouste non grainée, vous allez donc pouvoir la remonter sur le bateau. Sauf si…
Sa taille de capture n’est pas supérieure à 8 cm pour la langouste royale et supérieure à 6 cm pour la langouste brésilienne. Et il ne s’agit pas de sa taille mesurée de la tête à la queue ! La taille des langoustes est mesurée de la pointe du rostre jusqu’à la base inférieur du thorax.

Comment différencier la langouste royale de la langouste brésilienne me direz-vous ?
Si des taches blanches parsèment le corps et les pattes alors c’est une langouste brésilienne.
Une fois sur le bateau pensez à réaliser l’ablation de la partie inférieure de la nageoire caudale comme sur le schéma ci après. Un arrêté préfectoral en date du 17 mai 2011 oblige tous les pêcheurs « loisirs » à marquer leurs prises, en coupant une partie de la nageoire caudale, et ce afin d’éviter de retrouver des prises « amateurs » sur les étals des poissonneries ou dans les restaurants.

Pour résumer :

La pêche de la langouste est interdite entre le 1er janvier et le 31 mars (période de reproduction).
La pêche de nuit et la pêche en bouteilles sont interdites.
Seule la pêche, uniquement à la main, des individus de taille supérieure à 22 cm est autorisée pour la langouste royale P. argus et de 14 cm pour la langouste brésilienne P. guttatus. (Arrêtés préfectoraux du 23 octobre 1964 et du 27 septembre 1984)

Morale de l’histoire : si comme Fernando tu veux te la péter en dansant le tango, devant ta belle qui roucoule et fait des trémolo, n’oublies pas qu’après l’avoir pécho, tu risques de devenir papa de milliers de marmots…

Hey, Fernando, si tu ne l’as pas pécho, tu peux aussi enfiler un maillot et jouer au foot à Rio…

Ben quoi tous les brésiliens jouent au foot non ?