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Depuis des semaines, je vous parle de poissons, coquillages et crustacés, mais finalement, je n’ai jamais abordé l’habitat même de ces bestioles. Nous allons donc causer de l’écosystème des eaux de Martinique… Nan rien à voir avec Espace Sud ou le SME. Tout d’abord, il faut savoir que la Martinique fait partie des 35 hotspots mondiaux de biodiversité de par la richesse de ses milieux naturels, forestiers, littoraux et rivières. Les écosystèmes sous-marins de l’ile en font bien sûr partie et la mangrove tient une place de choix.
Il y a 3,5 millions d’années, se formait l’isthme du Panama, empêchant tout échange entre la mer des Caraïbes et l’océan pacifique. Depuis, la Mer des Caraïbes est une mer semi-fermée comprise entre la Floride et les Bahamas au Nord, à l’Ouest et au Sud par l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud, et à l’Est par l’arc des Antilles. D’une superficie d’environ 2 828 125 km2, c’est po la plus grande des mers du globe mais bon…. C’est forcément la plus belle puisque c’est la notre, d’abord ! Elle abrite une multitude d’espèces, dont 13% sont endémiques à la Caraïbes. Cette diversité biologique s’exprime dans trois écosystèmes majeurs : les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers. Ces trois milieux, aussi différents qu’ils peuvent l’être, sont intimement liés les uns aux autres. S’il n’y a plus de récif pour protéger nos côtes, il n’y aura plus de mangroves, s’il n’y a plus de mangroves les alluvions ne seront plus filtrés, si les alluvions ne sont plus filtrés, ça va étouffer nos herbiers puisque le sable va lui aussi se barrer, si les herbiers disparaissent, les fonds marins perdront de leur stabilité, qui dit plus de sols stables dit plus de coraux… et plus de poissons… On n’a pas le cul sorti des gorgonocéphales…
Bon vous savez déjà tout de la formation des coraux, je vous en ai déjà parlé. Ce que je ne vous ai pas dit, c’est que, à certains endroits et ce depuis des millions d’années, ils s’empilent à la manière d’un mur, façonné par les marées et la houle. Au bout d’un certain temps, voire d’un temps incertain, les coraux finissent par affleurer l’eau, le soleil les brule et les coraux de surface meurent. Reste leur squelette et les coraux vivant plus profonds, qui servent de base à cette barrière qui protège les rivages d’une mer trop agitée et abrite poissons, crustacés, et toute la vie qui va avec. Ouai mais bon, les structures coralliennes n’ont de cesse de se détériorer, elles ont perdu 80% de leur couverture en quarante ans. Ce sont les coraux corne d’élan et corne de cerf qui sont le plus touchés, d’où notre action de bouturage dont je vous ai parlé il y a peu.
Si la population commence à prendre conscience qu’il est important de préserver les récifs coralliens, il ne faut pas oublier que les herbiers et les mangroves sont des environnements à protéger car ils sont eux aussi en danger, à cause de la pollution bien sûr, de la surpêche mais aussi de l’urbanisme débridés qui touche aussi nos îles.
Mais qu’est-ce qu’un herbier ? Pour la plupart des plongeurs, l’herbier est un champ de verdure où quelques nudibranches se battent en duel et ou deux trois tortues viennent brouter. En fait, c’est beaucoup plus que ça, c’est le royaume des nudibranches et des tortues, mais pas que, puisque l’herbier abrite une faune riche et variée mais aussi sept espèces différentes de plantes dont quatre sont endémiques à la Caraïbes. La densité et la profondeur de leurs racines retiennent les masses sableuses et permettent la stabilisation des fonds marins en limitant l’érosion du littoral et en retenant la houle et les courants. Ces plantes sont aussi un extraordinaire refuge et garde-manger pour les lambis, oursins et étoiles de mer et bien sûr les poissons qui y trouvent les micro-organismes et nutriments nécessaires à leur croissance. Dans les Antilles, ce sont près de 120 espèces de poissons qui ont été recensées dans les zones d’herbiers ! Les juvéniles y sont particulièrement représentés, notamment à proximité des zones de mangrove.
Et qui dit bonne santé des poissons, dit pêcheurs content et humains rassasiés.
La mangrove martiniquaise, elle, couvre une superficie de 1800 hectares environ, soit la superficie de Grenoble quand même, « ne me parle pas de Grenoble » me disait mon père et Fernand. On la trouve essentiellement dans la partie centre et sud de l’île. Véritable forêt entre terre et mer, elle est un authentique laboratoire qui permet de comprendre et étudier des phénomènes tels que le filtrage des eaux usées s’écoulant vers la mer, la protection des côtes lors de tempêtes et les phénomènes d’érosion. Elle abrite aussi un formidable monde animal et végétal d’une richesse extraordinaire. Alors, oui, de prime abord, on n’a pas franchement envie de faire trempette dans l’eau saumâtre de la mangrove ou grouillent crabes et autres bébête pas très avenantes au milieu d’un enchevetrement de racines de palétuviers. Considérée comme malsaine, elle fut longtemps dégradée au profit de l’urbanisme et d’installations touristiques (ports, hôtels, etc). Ce milieu côtier original est aujourd’hui menacé. Son rôle étant mieux compris, de nombreux organismes associatif et d’état tentent maintenant de le protéger.
Mais, allons voir de plus près qui sont les habitants de la mangrove. Voici le crabe violoniste, ou crabe « c’est ma faute ». Il est appelé ainsi parce qu’il possède une grosse pince qu’il agite en permanence et, de fait, il ressemble à un moine faisant son mea culpa après avoir commis un péché.
Seul le mâle de cette espèce possède cette énorme pince, complètement disproportionnée. Elle lui permet de se battre devant les femelles, le vainqueur s’accouplera avec la belle qui n’a aucun mot à dire. Bon, en même temps, ça parle pas beaucoup un crabe.
Ce dernier vit le plus souvent hors de l’eau, son système respiratoire est adapté à ce mode vie. Les branchies sont petites et les chambres branchiales tapissées de poils, il ne va dans l’eau que pour les humecter.

Uca pugilator

Deux sortes de crabes, le Mantou et le Touloulou, finissent régulièrement en Matoutou, plat « national de Martinique » comme dit Mamie Nini, c’est une fricassée de crabes aromatisée aux épices antillaises spécialement préparée pour Pâques. Les Antillais les capturent à l’aide de ratière quelques semaines avant Pâques et les font jeuner vu que le repas habituel des bestios consiste aux charognes qu’ils trouvent . On les nourrit ensuite uniquement de fruits et légumes pays, histoire qu’ils aient meilleur goût, non parce qu’une fricassée saveur rat faisandé, c’est pas très engageant.
Sous l’eau, on trouve tout plein de petits alevins venus grandir à l’abri de la houle, il n’est pas rare de voir des bébés barracudas se promener entre les racines des palétuviers. Là, personne pour les manger crus sous les papa sous les lélé sous les palétuviers roses. (Alerte, alerte, on a encore perdu les moins de 20 ans…) Enfin, quand je dis personne, c’est faux, la mangrove abrite plus de 80 espèces d’oiseaux. Les plus communs sont les hérons garde-bœufs, de la famille des Ibis. Et la majeure partie des piafs ne pense qu’à boulotter des batraciens, rongeurs, poissons, et autres bébés barracudas.
Loin de la fable et de ce héron huppé, le notre est un sauvage. Une fois qu’il a attrapé la petite grenouille, il la fait tourner autour de son bec à la Rey Mysterio et là paf il lui fait le coup de la troisième corde et l’achève en … la gobant !!!.

  

Le Kayali quant à lui est le petit héron le plus typique de la mangrove, il est en prime protégé. D’humeur farouche, son cri est caractéristique et donne l’alerte dès qu’on s’y approche. Si vous entendez Kio Kio dans les branchages, c’est lui ! alors que houba houba c’est le marsupilami. La spécialité du Kayali c’est sa technique de pêche, il récupère un leure avec l’œil attentif du pêcheur averti, il pose le leure sur l’eau, puis le reprend, puis le repose, puis … puis un poisson un peu couillon vient voir ce qu’est cette drôle de bête qui affleure la surface. Il montre un bout de sa tête et paf se fait empaler par le bec accéré du piaf doué qui en fait sans tarder son déjeuner.

Tout ce petit monde vit plus ou moins caché dans les arbres de la mangrove et leurs racines. Ce sont essentiellement des palétuviers, mais, pas roses. Ils sont rouges, noir ou gris. La première chose que l’on remarque en posant les doigts sur une racine de palétuvier rouge, c’est que l’écorce de celle-ci est ponctuée de minuscules pores. Il s’agit de lenticelles, qui captent l’oxygène de l’air et l’envoient, sous l’écorce, dans les sortes de veines d’un tissu spongieux, l’aérenchyme. Celui-ci permet d’aérer tout l’intérieur de l’arbre, même les parties submergées. Ben oui, comme nous, les plantes ont besoin d’oxygène pour vivre. Mais la terre sous l’eau est un milieu anoxique (peu d’oxygène sous l’eau en effet), d’autant qu’il y a très peu de brassage de courant dans la mangrove, donc peu de brassage en oxygène, c’est pourquoi peu de plantes survivent si elles ont les pieds dans l’eau trop longtemps. La solution trouvée par les palétuviers a été de développer des racines aériennes pour respirer : les pneumatophores. Elles permettent de rendre l’arbre stable dans le sol peu solide, en plus de lui apporter de quoi respirer. Du coup, on peut dire que le palétuvier respire des pieds !

Dans cet environnement inhospitalier pour la plupart des végétaux, certaines espèces ont développé des systèmes de défense contre l’hyper salinité de l’eau. Les palétuviers rouges, qui en font partie, ont une sève dix fois plus salée que les arbres normaux. Les palétuviers noirs, eux, s’avèrent sans équivoque les champions de la résistance à la salinité, avec des concentrations de sel jusqu’à cent fois supérieures à la normale. Peut-être avez-vous remarqué que certaines feuilles de ces arbres sont couvertes de cristaux de sel. En fait, les palétuviers noirs possèdent sur leurs feuilles des glandes spéciales, les glandes à sel, qui leur permettent d’extraire le sel en excès de la sève. Ils utilisent le transport actif : une protéine attrape le sel à l’intérieur de la plante et le fait passer à travers la cellule, sans qu’il n’interfère avec elle, pour l’envoyer à l’extérieur. Les cristaux s’accumulent finalement sur des « poils » microscopiques recouvrant les feuilles, lesquelles tombent lorsque la quantité de sel devient trop importante. Chez le palétuvier rouge, le sel est en partie bloqué par les racines, qui font de l’absorption sélective ; c’est pour cette raison que sa sève en contient moins et qu’il y a peu de cristaux qui s’accumulent sur ses feuilles.
Ce processus d’extraction du sel par évaporation de l’eau nécessite beaucoup d’énergie, et celle-ci est principalement créée lors de la photosynthèse. Les palétuviers doivent donc être très exposés au soleil, ce qui explique pourquoi ils ont de grandes feuilles et pourquoi on retrouve surtout les mangroves dans les tropiques, parce que chez nous y’a du soleil !!!!

Morale de l’histoire, qui n’en est pas une, juste un petit hommage à ma grand-mère qui chantait…
Oui c’est l’effet du tropique
Qui me pique, pic, pic, pic…
Je sens les muscadiers,
Je sens les poivriers
Et les bananiers !…
Le parfum des néfliers
Et des doux pistachiers
N’vaut pas l’étuvier tendre …
Tous ces arbres tropicaux
Vous incitent aux bécots
Allons-y mon coco !…
Aimons-nous sous les palé
Prends-moi sous les létu,
Aimons-nous sous l’ évier
Si je comprends bien
Tu me veux mon chien
Sous les grands palé…
Tu viens !…

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