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Aujourd’hui 1er avril, pas de blagues à la con, en hommage à tous les poissons qui ont terminé leurs jours crucifiés dans le dos d’humains en quête de bonne humeur…

Je vais vous parler d’un poisson qui pourrait paraitre banal. Il n’a pas de jolies couleurs, son corps est filiforme, il a de grosses lèvres et une tâche noire sur la caudale. Pas de quoi finir en aquarium ou chez Vivagel…

Enfin, commun… ce serait mal connaître nos amis les matajuels ou vive de sable ou encore vive tropicale, que l’on trouve dans nos eaux caribéennes, en Amérique du nord, Brésil, Atlantique sud, dans des fonds sableux entre 5 et 40 mètres. Jusque-là, rien de bien original. Et pourtant, Manuel le matajuel mérite le respect, c’est un poisson « ingénieur ». Bon, le terme est peut-être un peu fort, ce serait plutôt un poisson « maçon ». Il construit son nid avec patience, de véritables petits palaces sous marins qui peuvent avoir un diamètre de près de 2 mètres. Chaque matajuel mâle délimite son territoire qu’il ne partage avec aucun autre Manuel. Seules les femelles acceptent la venue des mâles sur leur terrain de jeux.

Chaque jour, inlassablement, Manuel le matajuel va chercher quelques morceaux de corail, des cailloux pour parfaire sa petite maison, et ce jusqu’à 35 mètres à la ronde. Le Facteur Cheval de la mer ! Vous allez me dire, mais quel est l’intérêt d’un tel « édifice » au fond de l’eau ? Tout d’abord, sous sa maison, se trouve son « terrier », il s’y abrite en cas de danger, ou pour dormir. En dessus, se trouve donc ce tumulus, fait de multitudes de petits cailloux et de débris coralliens, un peu comme le toit d’un édifice. C’est d’ailleurs pour ça que, chez nos amis anglophones, on l’appelle aussi « tilefish », le poisson couvreur. Ce tumulus peut être composé de centaines de kilos de débris, autant dire qu’il passe sa vie à construire sa maison. Il n’est donc pas rare de le voir aller et venir, un morceau de corail entre les dents, et venir le déposer sur son chantier.

Un jour Eric, qui passe sa vie à buller, c’est bien connu, a pu observer une scène de vie assez comique entre deux matajuels, un adulte et un juvénile.

Alors que l’adulte était parti à la recherche d’un caillou supplémentaire qui viendrait sublimer la devanture de son palace, un plus jeune s’est approché de la maison, lui a piqué un bout de corail de la plus belle facture, est parti l’air de rien… puis a fait demi-tour pour détruire de quelques coups nageoire l’arche servant d’entrée du tumulus de son ainé. Il s’en est allé, ainsi, son butin en bouche, vers sa villa en construction. L’adulte est revenu quelques minutes plus tard et, constatant les dégâts, est resté tout pantois devant le désastre laissant choir son caillou sur sa maison en pièces détachées.

Après cet aparté, revenons à ce tumulus et à son utilité. En fait, Manuel vit souvent dans les herbiers ou les fonds sableux, il construit donc sa maison sur ces espaces. Les monticules de cailloux et coraux deviennent alors de véritables biotopes, des ilôts de biodiversité qui accueillent toute une petite population de petits poissons, crabes, crevettes qui permettront au propriétaire des lieux de trouver à manger sans trop se déplacer. Manuel se nourrit en effet de vers, de petits mollusques et autres PPDA (Petits Poissons Des Antilles, et pas Patrick Poivre d’Arvor qui est assez lourd à digérer, même en sushi). Il chassera d’éventuels prédateurs en leur partant après, il a d’ailleurs une technique de nage bien particulière puisqu’il peut changer de direction en un temps record et même freiner d’un coup sec, sans se faire embarquer par son inertie.

D’autres espèces de poissons construisent ce genre d’édifice, mais, la plupart du temps, il s’agit de constructions éphémères servant de nid pour leur progéniture, alors que la maison du matajuel est construite pour durer. Une autre particularité liée à cette « habitation », elle ne sert en aucun cas de nid, Manuel ne pense qu’à sa gueule, les bébés matajuels n’ont qu’à se débrouiller. D’ailleurs, bon nombres n’arrivent pas à maturité, gobés par des prédateurs à l’affut lorsque maman matajuel pond ses œufs, tous les jours, quelques heures avant le coucher du soleil… Manuel, après une danse de l’amour onduleuse et sexy peut frayer avec 5 ou 6 partenaires sans aucun complexe ! Bon, cela dit, il va peut être, un jour ou l’autre, se retrouver face à une ancienne femelle devenue mâle, ce poisson ayant la particularité de changer de sexe au cours de sa vie, la maman laissant ses attributs de femelle pour ceux d’un gros maçon moustachu. Nul ne sait pourquoi, mais après tout, les mœurs des matajuels ne nous regardent pas, ou si peu.

Morale de l’histoire :

Si comme Manuel tu es le roi de la truelle, gaffe à ton voisin qui pourrait venir te piquer ton matériel
Si comme le matajuel tu es un dragueur compulsionnel, gaffe à ta voisine qui pourrait bien s’être transformé en un bon gros Manuel

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